Journalism in Mauritania: Between Legitimate Criticism and Directed Statements
Journalisme en Mauritanie : entre critique légitime et déclarations dirigées
Par : Mohamed
Abderahman Abdallah
Journaliste – Nouakchott
Dans un pays en proie à de nombreuses contradictions, où les tentes politiques côtoient les gratte-ciel des crises, le journalisme mauritanien se trouve à un carrefour critique, pris entre le marteau de la « critique légitime » et l’enclume des « déclarations dirigées ». Il n’est ni entièrement libre de servir de conscience à la société, ni totalement contraint à la soumission. Au contraire, il évolue dans un entre-deux précaire, où les mots oscillent entre engagement national et préoccupations sécuritaires, entre le désir du journaliste de dire la vérité et la crainte des conséquences qui pourraient en découler.
Le journalisme sous les projecteurs… et la surveillance
Le journalisme mauritanien est depuis longtemps réputé pour sa relative audace, comparé à celui de certains pays voisins. Depuis les années 1990, les journaux indépendants offrent un espace d’expression aux voix dissidentes et une tribune pour soulever des sujets tabous. Pourtant, cette liberté reste entourée de murs invisibles, allant des pressions politiques aux tentations matérielles, en passant par des menaces sécuritaires subtiles.
Ces dernières années, on a constaté un recul notable de la liberté de la presse. Ce recul se manifeste par des restrictions indirectes imposées à certaines voix, ou par l’utilisation de déclarations officielles pour contenir les critiques sous couvert de « responsabilité éthique » ou de « paix civile ». Le journaliste se retrouve ainsi contraint de marcher sur une corde raide : dire la vérité, sans offenser personne.
Les déclarations ne font pas le journalisme… elles l’étouffent
Dans un scénario désormais familier, certaines entités officielles préparent des « déclarations » pré-rédigées et les distribuent aux médias, exigeant une couverture médiatique précise d’événements spécifiques. Ces déclarations, au lieu d’éclairer l’opinion publique, servent plutôt de muselière, transformant le journaliste en simple présentateur, privé du droit d’interpréter, d’analyser ou même de questionner.
La frontière entre médias officiels et indépendants devient de plus en plus floue. Les citoyens se demandent : où trouver la vérité ? Est-elle dans la voix de l’État, ou dans des voix qui ont trop peur de la contester ? Reste-t-il quelqu’un dans ce pays prêt à poser les questions qui reflètent véritablement la douleur du peuple ?
Quand la critique devient un crime
L’ironie amère est que certaines autorités considèrent la critique – même objective et étayée par des faits – comme une forme d’« incitation » ou une menace à la « cohésion sociale ». Des journalistes sont convoqués, des enquêtes sont ouvertes et des pressions secrètes sont exercées – tout cela dans le but de briser leur volonté et de les faire taire.
Dans un tel climat, la lutte pour le droit à la parole devient une lutte pour l’existence. Le journalisme doit rester la voix des pauvres, la conscience des plus vulnérables et un outil de responsabilisation – sous peine de se réduire à une simple caisse de résonance pour les coulisses politiques, ou pire, à un instrument de pression entre les mains des puissants.
Existe-t-il un moyen de sortir du goulot d’étranglement ?
Le plus grand défi n’est pas seulement la domination des autorités, mais aussi la faiblesse de la structure journalistique elle-même. La plupart des journalistes évoluent dans un environnement économique fragile, sans contrats stables ni assurance adéquate, ce qui les expose à l’exploitation et à la coercition. À cela s’ajoute l’absence d’un conseil des médias efficace et indépendant chargé de défendre la liberté de la presse et le droit à la critique responsable.
Pourtant, au milieu de la peur et du silence, quelques lumières brillent : des plateformes en ligne indépendantes et des médias imprimés qui osent dire « Non », de jeunes écrivains qui se rebellent contre la culture du silence et des voix qui tentent de raviver l’honneur du journalisme mauritanien.
Le journalisme en Mauritanie est le reflet de ce qui se passe en coulisses. S’il respire librement, c’est le signe d’une société qui s’ouvre. Mais s’il est asphyxié, c’est le signe d’un dangereux recul politique et social.
Alors, faut-il attendre que les journalistes obtiennent leurs droits ? Ou faut-il se battre pour eux avant que ces droits ne soient définitivement perdus ?
La réponse ne repose pas uniquement sur les autorités, mais sur la société dans son ensemble.